Même sans aucun mot, la mer parle. Depuis Kerroch je l’entends me raconter les campagnes de pêche, les chalutiers en route pour les océans froids du nord, les compartiments à
glace qu’il faut remplir de poissons, les efforts pour se lever alors qu’il fait nuit dehors.
Prendre la mer c’est laisser s’échapper les continents, quitter la ligne de côte rassurante, se séparer pour un temps. Etre en mer c’est avancer vers l’horizon. Kerroch est
comme un plongeoir sur l’océan. On y vient s’assoir sur le muret pour discuter en silence avec les vagues. Il faut les écouter. L’eau vient s’échouer sur les rochers, caresser doucement les
formes arrondies de la digue ou s’y jeter dessus en grandes gerbes aux reflets bleutés les jours de vent.
C’est l’hiver et les bateaux hibernent sur d’autres lieux mais l’océan parle. Il est gris ridé par de larges trainées blanches mais il sait très bien faire danser les corps
morts joyeusement dans le port vide. J’aime ces hommes qui regardent avec mélancolie le temps qui file doucement.
Pourtant au large des cargos poubelles, des pétroliers rouillés et des porte containeurs trop chargés menacent à chaque instant de sombrer. Par-dessous, les sous-marins
nucléaires se télescopent pour un problème de radar. Mais depuis Kerroch, je préfère rêver. Il suffirait d’un peu de ciel bleu pour voir se colorer de bleu l’océan. La mer est comme un miroir
reflétant les sentiments du moment.
J’aime les gens amoureux qui s’enlacent face à l’océan. Leur baiser est une espérance portée de vague en vague, un rire qui s’enivre de tendresse, une danse sur l’immense
étendue d’eau, un bateau toute voile dehors qui s’élance au large vers ses rêves.
Le jour s’achève, la nuit s’invite, le froid est vif. Je veux voir le phare de Groix s’illuminer. Je veux suivre des yeux son faisceau lumineux tutoyant le haut des vagues
blanches.
La mer me parle. A Kerroch il y a toujours des gens qui viennent l’écouter, y goûter sa poésie, accoudés face à elle. Et repartir avec un peu d’elle au fond des
yeux.
Même sans aucun mot, la mer me parle. A Kerroch elle s’adresse aux hommes qui savent la reconnaitre et l’aimer.